Pr Bassène : « La médecine traditionnelle doit progresser avec l’utilisation de la phytothérapie »

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PROFESSEUR EMMANUEL BASSENE, TITULAIRE DE CHAIRE EN PHARMACOGNOSIE
« La médecine traditionnelle doit progresser avec l’utilisation de la phytothérapie »

Professeur de classe exceptionnelle de la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et titulaire de chaire de pharmacognosie, Emmanuel Bassène aborde dans cette interview la question de la médecine traditionnelle en Afrique.
Pourquoi fait-on une différence entre médecine moderne et médecine traditionnelle ?
La médecine traditionnelle est la mère des médecines. Les hommes sont nés avec. Or, la médecine moderne est née des progrès de la science. C’est lorsqu’on a commencé à décortiquer la structure de la matière avec la chimie et la physique que la médecine moderne est née. Donc, elle est née d’abord de l’isolement des principes actifs à partir des plantes et puis ensuite de la synthèse de ces principes actifs.
La médecine moderne utilise des outils modernes alors que la médecine traditionnelle utilise les outils hérités des ancêtres.
Avec l’existence de la médecine moderne, est-ce qu’il y a toujours nécessité d’utiliser la médecine traditionnelle ?
C’est comme si je disais : maintenant, j’ai un costume, je vais jeter ma chemise ou maintenant j’ai un soulier, je ne porterai plus de sandales. Toutes les médecines ont leur place. Il n’y a pas opposition. Dès lors qu’il n’y a pas opposition, toutes les médecines sont légitimes. On ne peut pas demander aux hommes d’utiliser ce qu’ils ont appris par eux-mêmes ou par d’autres. Il n’y a pas que l’école occidentale qui confère une compétence. Tout le monde doit pouvoir avoir sa place.
Peut-on utiliser la médecine traditionnelle et la médecine moderne en même temps ?
On devrait pouvoir le faire. De toute façon en ce moment, ça se fait. Certains achètent des plantes pour se soigner en même temps, ils vont dans des établissements de santé. Les deux s’utilisent. Il faut que chacun puisse choisir la manière dont il va se soigner, qu’il puisse au moins avoir un petit choix. On ne peut pas mettre les gens dans des carcans. De toute façon, c’est impossible. Il y aura toujours cette liberté de conscience.
A part l’Afrique, est-ce que la médecine traditionnelle existe dans les autres continents ?
D’après ce qu’on nous enseigne, les Chinois ont gardé leur médecine traditionnelle. Cependant, la médecine traditionnelle chinoise revêt des aspects plus modernes que ceux que nous entendons plus traditionnellement en Afrique. Depuis longtemps en Chine, elle est enseignée dans des écoles. En complément, ils utilisent la philosophie traditionnelle. Il en est de même pour les Indiens. Tous les peuples qui ont eu leurs propres écritures ont pu formaliser leur médecine traditionnelle en mettant en place des écoles. En tout cas, ils ont des écrits grâce auxquels on peut apprendre la science de la médecine traditionnelle.
Comment la population appréhende la médecine traditionnelle ?
En milieu urbain où les établissements sanitaires sont disponibles, les gens y vont quand ils tombent malades. Dans les villes, les populations ont acquis l’habitude d’aller dans les structures sanitaires. Mais, c’est sûr qu’en milieu rural, la médecine moderne n’est pas le premier recours parce que le poste de santé se situe à des kilomètres. Donc les gens préfèrent aller voir le guérisseur le plus proche ou bien quelqu’un qui peut leur cueillir une plante ou qui peut leur prodiguer des conseils.
Je pense donc qu’au-delà de la préférence, le choix se porte aussi sur la médecine traditionnelle pour des questions de moyen et de proximité. Les gens ne choisissent pas automatiquement d’aller à l’hôpital ou de se rendre chez le tradipraticien, mais, ils vont là où les soins sont plus accessibles.
Il faudrait renforcer cette analyse par des enquêtes sociologiques plus poussées.
Est-ce qu’il y a des maladies que la médecine traditionnelle guérit et que la médecine moderne ne peut pas soigner, vice-versa ?
Il n’y a pas d’exclusivité. Les maladies existent depuis longtemps. Les gens ont toujours trouvé des solutions. Si je ne m’abuse, la majorité des maladies émane de la nature. Ce n’est pas avec les indépendances des pays africains, avec la création de nos hôpitaux, qu’on a commencé à traiter les patients. Donc, il n’y a pas de maladies que la médecine traditionnelle ne peut pas soulager. Évidemment dans certains cas ou quand la pathologie nécessite une chirurgie, c’est autre chose. On ne peut pas dire aussi qu’il y a des maladies que la médecine moderne soigne et que la médecine traditionnelle ne soigne pas ou, a minima ne soulage pas. Si c’est avec les molécules, la nature fait plus de molécules que les hommes. Les hommes n’ont rien fabriqué par rapport à la diversité qu’on trouve dans la nature.
Les médecins gagneraient un peu à solliciter les traitements traditionnels. Il y a certaines maladies de confort qu’on devrait résoudre par la médecine traditionnelle. Quand quelqu’un est constipé, il n’a pas besoin d’une ordonnance. Il y a plusieurs moyens de lever la constipation. C’est la même chose que quand quelqu’un a une toux différente de la tuberculose et autres. Avec la médecine traditionnelle, c’est efficace et ça coûte moins cher.
Qu’est-ce qu’il faut faire pour rendre crédible la médecine traditionnelle ?
Je pense que la médecine traditionnelle doit évoluer. Les Européens ont été au même stade que nous. Idem pour les Chinois. Au début du 20è siècle jusqu’aux années 50, il y avait dans les pharmacies des tisanes et des extraits de plantes. Il n’y avait pas beaucoup de comprimés. Moi, je ne suis pas d’accord qu’on dise que Hippocrate ou Galien sont le père de la médecine. Ils ne sont pas plus callés que ne l’étaient nos tradipraticiens. Tous ces gens à qui on attribue la paternité de la médecine moderne étaient des tradipraticiens. Galien, par exemple, donnait des plantes à ses patients. Ils n’avaient pas des piqûres et des comprimés.
La première des choses, c’est de faire en sorte que cette médecine utilise des outils modernes. Il faut comprendre que les représentations doivent évaluer : les génies ne sont pas plus dans les plantes que responsables d’une maladie.
Nous avons des universités depuis les années 60. Ici au Sénégal, le département de pharmacie a été créé en 1960. Et jusqu’à ce jour, nos médecins ne prescrivent pas de remèdes qui viennent de nos plantes. C’est un drame. Si ceux qui font de la recherche sur les plantes nous écoutaient, on aiderait à faire comprendre ce que la tradition nous a légué. Ce n’est pas parce qu’un homme n’est pas allé à l’école qu’on doit lui interdire d’utiliser ses connaissances.
Puisqu’il faut un système moderne performant, il faut nécessairement marginaliser les plantes et tout leur bénéfice. Ici, on a créé des tisanes à base de Guiera senegalensis, mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucune autorité qui s’est levée pour nous donner les moyens de les développer. On ne peut pas continuer à importer des médicaments qu’on ne fabrique pas.
La médecine traditionnelle doit progresser avec l’utilisation de la phytothérapie. La phytothérapie est une médecine qui utilise les plantes avec des principes actifs, avec des connaissances modernes. Lorsqu’on utilise une plante, c’est parce qu’on sait qu’elle contient certaine molécule qu’on est en mesure de pouvoir doser, etc. Il n’y a que la phytothérapie qui peut permettre à la médecine traditionnelle de s’imposer et d’évoluer. La phytothérapie peut permettre de créer un cadre, de normaliser. Elle a les mêmes canevas de normalisation que la médecine moderne. Or, dans la médecine traditionnelle, chacun à sa façon de faire. C’est possible qu’on parvienne à des consensus grâce à la phytothérapie.
La phytothérapie, c’est de la médecine moderne par les plantes. La modernité a des exigences. Quand on utilise un matériel, il faut qu’il soit reconnu grâce à un certain nombre de normes respectées. C’est ce qu’apporte la pharmacopée. Il ne faut pas qualifier la pharmacopée de traditionnelle. La pharmacopée est moderne. Une pharmacopée, c’est une loi. Elle est matérialisée par un ouvrage dans lequel on retranscrit toutes les normes liées à chaque plante, les manières de se les approprier et de les utiliser. Le pharmacien sans pharmacopée, c’est comme un imam sans coran.
Quelle est la situation de la médecine traditionnelle en Afrique ?
Les pays anglophones sont plus en avance. Au Ghana, il y a un institut qui développe des produits naturels. Au Mali, il y a un institut d’État, mais c’est toujours à l’état artisanal. Il n’y a pas un soutien volontariste qui puisse faire en sorte que les produits inondent le marché. Il faudrait une véritable volonté politique pour permettre à l’institut maline de pouvoir émerger. Au Sénégal, il n’existe aucune organisation de ce genre.
Pour le bien des populations, il faut qu’on lie tradition et modernité. Je veux faire comprendre qu’il faut puiser dans la tradition pour évoluer. Les tiroirs sont remplis de documentation sur un certain nombre de pathologie telles que le diabète, sur l’hypertension, etc. Les résultats sont là. Il faut une volonté des gouvernements pour permettre une réelle production de médicaments à base de plantes.
L’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) a produit et publié une pharmacopée. A ce titre un document a été présenté depuis 2013 aux chefs d’État de la CEDEAO. Mais à ce jour, aucun pays n’a pas pris de disposition spécifique pour reconnaitre cette pharmacopée. Exception faite des pays anglophones (Ghana, Nigeria) qui ont déjà adopté la leur.

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