Situation structurelle de la cancérologie au Sénégal et en Afrique (Professeur Mamadou Diop)

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L’INTERVIEW :
Professeur MAMADOU DIOP, Service de Cancérologie ; Hôpital Aristides Le Dantec, Dakar

La cancérologie sénégalaise a été, courant 2017, au devant de l’actualité avec la paralysie de l’unité de radiothérapie de son centre de référence nationale. Qu’est ce qui a mené à cette situation ?

C’est en en 1989 que le Sénégal a acquis (j’étais interne des hôpitaux de 1ère année dans ce service) un appareil de radiothérapie par un don de l’ARC (association de recherche contre le cancer de la France qui n’existe plus). Cet appareil était à l’époque un acquis extrêmement important et le Sénégal était un des rares pays à disposer de radiothérapie en Afrique. Malheureusement, nous sommes restés en l’état pendant 30 ans alors que la technologie de la radiothérapie a entre temps énormément évolué avec plusieurs nouvelles générations de machines (accélérateurs de particules) beaucoup plus efficaces et des moyens de calcul de doses d’irradiation (dosimétrie) beaucoup plus précis. Il y a eu , sur plusieurs années, en plus de ce retard technologique pur, des retards pour le renouvellement de la source radioactive (cobalt 60) de cette machine mais aussi un problème de personnel (il y a eu un assistant technique français pour quelques mois puis algérien pour des séjours d’une semaine sur plusieurs années) ainsi que des pannes successives avec des incidences majeures dans la prise en charge des malades et un risque pour le personnel. Nous en sommes arrivés à la décision douloureuse de l’arrêter le 31 décembre 2016 et à demander aux autorités sanitaires son changement en urgence avec une remise à niveau de tout l’environnement de traitement. Décision d’autant plus douloureuse que l’acquisition des machines qui devaient équiper l’hôpital Dalal Jamm et prendre le relais de celui de Le Dantec avait connu un retard important. Du coup, le Sénégal s’est retrouvé sans radiothérapie. Il s’y ajoute que Le Dantec est un hôpital centenaire avec des infrastructures complètement dépassées et inadaptées.

Dans quel sens cela a-t-il évolué depuis ?

Dans le bon sens, puisque l’accélérateur de particules de Le Dantec est en train d’être installé avec un respect des délais en plus de la réhabilitation des salles de consultation et l’acquisition de la curiethérapie qui est un moyen de traitement important en radiothérapie surtout pour le col de l’utérus. En même temps les 2 machines de Dalal Jamm sont en cours d’installation également. Il y a aussi les aspects formation qui ont été pris en compte avec des stages de perfectionnement et de maintenance qui sont en cours. En toute chose, malheur est bon comme dit l’adage

Pouvez-vous nous faire la présentation de la prise en charge des cancers, notamment dans les divers aspects que sont les moyens diagnostiques et thérapeutiques, les ressources humaines et financières mises à la disposition de ce volet médical ?

Les difficultés majeures de prise en charge des cancers sont liées au diagnostic tardif (en moyenne il y a un an entre le 1er symptôme ressenti par le malade et la consultation dans nos structures), l’absence de programme organisé de détection précoce, le déficit en ressources humaines et surtout l’absence de centre anticancéreux (pas d’unité de lieu des moyens diagnostiques et thérapeutiques). Malgré les acquis en termes de radiothérapie après plusieurs années de plaidoyer, il nous reste beaucoup de choses à faire. Il faut trouver les ressources financières pour mettre en œuvre le plan national stratégique de lutte contre le cancer qui a nécessité 5 séminaires et qui est disponible depuis 3 ans. D’abord, il nous faut des données fiables : les chiffres avancés par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) basés sur de la modélisation et qui nous servent encore pour le plaidoyer et qui sont aujourd’hui la référence internationale sont tout simplement de faux chiffres. Nous devons avoir un registre des tumeurs fonctionnel. Les données réelles préliminaires du registre que nous avions commencé à mettre en place et qui s’est arrêté faute de budget mettent le cancer du sein en tête contrairement aux données de globocan 2012 (CIRC) basées sur de la modélisation et qui mettent le cancer du col loin devant. Il est donc fondamental d’avoir un registre des tumeurs qui permet de cibler les priorités, les facteurs de risque et surtout d’évaluer la politique de lutte. Pour savoir par exemple pourquoi tel ou tel cancer est plus fréquent dans une localité par rapport à un autre. Il faut avoir pour le long terme une stratégie efficace en matière de prévention primaire qui met l’accent sur le changement de comportement (application des mesures de lutte anti-tabac, changement des habitudes culinaires et nutritionnels etc, protection des travailleurs à risque) mais aussi mettre en place des programmes de prévention et de détection précoce pour les 2 localisations phares que sont le sein et le col. Pour le cancer du col sa prévention est parfaitement réalisable et est à notre portée en terme de moyens, il faut coupler la vaccination contre HPV (virus du papillome humain) et le dépistage, celui-ci peut être à la charge des sages-femmes et infirmiers qu’il faut former à des techniques de détection simple et de destruction des lésions précancéreuses qui précèdent de 10 à 15 ans la survenue du cancer. La mortalité de ce cancer peut régresser très vite si on met à l’échelle nationale ce que fait déjà la LISCA (ligue sénégalaise contre le cancer) actuellement en collaboration avec l’institut du cancer depuis plusieurs années.

On note souvent des difficultés dans les itinéraires thérapeutiques des malades dans les pays d’Afrique en général. Le Sénégal n’est pas en reste. Quelles sont les écueils que les malades (femmes, hommes, enfants) et les professionnels spécialistes dans la cancérologie y rencontrent ?
L’itinéraire diagnostique et thérapeutique du malade est un parcours du combattant, surtout pour le malade qui n’habite pas Dakar. C’est un vrai calvaire physique et psychologique. Il faut savoir que le diagnostic du cancer se fait en général sur la base d’un prélèvement tissulaire d’un organe, ce qui est déjà en soit un acte médical qui peut être complexe. Il faut que le malade apporte ce prélèvement au laboratoire où il paye pour le diagnostic, ensuite il revient chercher les résultats qui ne sont disponibles qu’après un délai souvent de plusieurs semaines. Une fois le diagnostic établi par le laboratoire, le médecin traitant informe le patient et lance un bilan d’extension qui comporte souvent des examens d’imagerie (scanner, IRM, scintigraphie) et de biologie qui sont exceptionnellement réalisables sur un seul et même lieu. Souvent les patients font plusieurs semaines en se déplaçant d’une structure à une autre pour terminer ce bilan à leur frais et parfois au bout il peut y avoir d’autres examens complémentaires. A la fin de ce bilan, le dossier est parfois discuté en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) pour établir la stratégie de traitement qui demande une consultation spécialisée et la mise route du traitement qui souvent comporte plusieurs types de traitement qui se succèdent dans le temps (chirurgie 1 à 2 semaines, radiothérapie 4 semaines et chimiothérapie 5 mois et plus). Donc il est facile d’imaginer avec toutes ces étapes diagnostiques puis thérapeutiques la souffrance psychologique et physique des malades et la nécessité d’avoir au moins une unité de lieu pour les étapes de prise en charge du cancer c’est-à-dire ce qu’on appelle un centre anticancéreux (CAC). Il s’y ajoute l’absence de prise en charge psycho-oncologique.

Comment se situe l’accès aux soins et aux médicaments ?
Le déficit en ressources humaines, d’infrastructures adaptées et d’équipement retardent la prise charge. Les RV de consultation sont éloignés après plusieurs semaines parfois, les délais pour les résultats diagnostiques sont éloignés et peuvent dépasser le mois, certains prélèvements vont en France. Les médicaments de chimiothérapie surtout les nouvelles drogues restent chères et inaccessibles pour la grande majorité, malgré les efforts faits par la PNA (pharmacie nationale d’approvisionnement en termes d’appels d’offre. Les nouveaux types de traitement ciblé sont hors de prix et ne sont accessibles qu’à un petit nombre. Comme le sorafenib qui est efficace contre le cancer du foie en stabilisant l’évolution ou l’erlotinib dans certains cancers du poumon. Ces médicaments coutent à peu près 1 million par mois et il faut les utiliser jusqu’à progression pour obtenir une survie prolongée. Il est nécessaire qu’il y ait une subvention de l’état à l’instar de la Cote d’Ivoire, du Mali et de la Mauritanie pour rendre tous les protocoles de traitement classique accessibles.

Quel est l’appui des pouvoirs publics, mais aussi des privés ?
Il y a ce qui est fait actuellement pour la radiothérapie, l’appel d’offre pour les médicaments anticancéreux et le centre anticancéreux de Diamniadio à l’état de projet.
Certains radiologues privés dont la liste est disponible au niveau de la LISCA apportent leur concours et beaucoup de solidarité durant la compagne Octobre Rose en acceptant de faire la mammographie à 30000 francs ce qui est très appréciable.

Les maladies non transmissibles dont les cancers, le diabète et les affections cardio-vasculaires sont devenues les nouvelles urgences de la santé publique pour les décennies proches à venir dans tous les pays du monde. Quelles sont les perspectives nationales et sommairement africaines (prise en charge, lutte préventive et formation) face à cette évolution sérieuse et spécifique des cancers ?

Il faut absolument un changement d’approche et de paradigme de nos dirigeants politiques en termes de santé publique. Il y a une transition épidémiologique en Afrique qui fait les maladies infectieuses ne sont ou ne seront plus les causes de mortalité. Les maladies chroniques considérées depuis des décennies comme l’apanage des pays riches constituent aujourd’hui des problèmes de santé publique ; les africains meurent plus aujourd’hui de complications du diabète, d’infarctus, d’AVC, de cancer que de paludisme, de sida ou de tuberculose. Il s’y ajoute que notre politique de santé publique a toujours bénéficié d’un apport financier colossal pour ces maladies transmissibles qui bénéficient des programmes mondiaux. Ce ne sera pas le cas des maladies chroniques dont l’approche de prise en charge est complètement différente et qui constituent dans les pays développés aussi un problème de santé publique. Il faut voir ce qui est faisable et commencer à l’appliquer avec nos propres ressources et ne pas attendre uniquement l’aide étrangère.

Un plan national a été élaboré en ce sens. Quels sont ses différents axes principaux ?
Il y a six (6) axes stratégiques dans ce plan :
⦁ La prévention primaire : elle consiste à prévenir par une action dans le mode de vie de toutes les couches sociales à tout âge sans oublier les albinos qui font des cancers de la peau à cause du soleil. Elle inclut la vaccination contre certains virus cancérigènes. Elle fait beaucoup appel à la communication par le biais de l’information et de la sensibilisation.
⦁ Le développement des ressources humaines est fondamental. La spécialisation en oncologie (chirurgie oncologique, radiothérapie, chimiothérapie) dure 4 ans. Il faut la planifier en fonction des diplômes existants ou manquants au Sénégal et former des chirurgiens généralistes à la cancérologie sans oublier le personnel paramédical. Il y a les spécialités de prise en charge manquantes comme les soins palliatifs et la psycho-oncologie mais aussi les spécialités de diagnostic comme la pathologie, la médecine nucléaire etc.
⦁ La détection précoce permettra soit de détecter des lésions précancéreuses et de les traiter soit de de faire le diagnostic plus précocement. Ce qui fait baisser la mortalité mais il faut l’rganiser en mutualisant les moyens et en l’intégrant dans notre système de santé.
⦁ La prise en charge diagnostique et thérapeutique exige la construction de nouvelles infrastructures dédiées.
⦁ Il y a la surveillance épidémiologique et la recherche ainsi que
⦁ le Suivi – Evaluation du plan stratégique qui permettent de gouverner, d’ajuster et d’améliorer.

Où en êtes-vous dans sa mise en œuvre ?
Aucun budget spécifique n’est encore disponible pour sa mise en œuvre. Il y a le projet de centre national d’oncologie de référence qui est en bonne voie. Il y a eu un début de financement du registre des tumeurs.

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